blackwidow
Âge |
23 ans
Cursus |
Ce dans quoi la réussite nous porte. Un choix par dépit, ou une réelle envie ? Qu’importe. On le lui avait tellement dit, ce qu’il fallait, c’était gagner sa vie. Accumuler quelques richesses, pour ne pas sombrer dans les affres de la misère. Faire de belles études, pour que cette famille, elle soit prospère. Alors, Adveï, c’était dans l’approfondissement de la langue coréenne qu’il s’était dirigé. Une décision qui scelle l’avenir, oh, c’est que le poids qu’elle emportait, il fallait pouvoir le supporter. Optant ainsi pour le moins pénible, lui qui avait toujours eu des facilités pour les matières littéraires, homme de lettre comme son père, peut-être finirait-il traducteur-interprète… Ou servirait-il aux relations internationales de son pays. Qui sait.
Nationalité |
La beauté du rural, havre de paix épargné des décadences de la ville. Pour fuir les immoralités infernales, ces débauches viles, c’était dans les quiétudes d’Orekhovka, ce village perdu entre Moscou et Saint-Pétersbourg, que les Ielizarov avaient toujours vécu. Une famille installée depuis des décennies sur ces terres au charme teinté de misère, c’était pour son rigorisme qu’ici, elle était notoirement connue. Une Russie profonde où les histoires familiales traversaient les âges, où les rumeurs s’encraient dans les pages, il n’y avait que pour ses années de lycée qu’il les avait quittées, ces terres sauvages. Envoyé à celle que l’on nomme splendidement la Venise du Nord, c’est dans un internat qu’il avait passé ses semaines de cours, revenant pour les vacances, dans ce foyer temporairement quitté. Malgré une scolarité baignée dans la dureté de la sévérité, il y avait dans cette rudesse, peut-être l’ombre d’une liberté. C’est qu’éloigné des travers d’une éducation parentale intraitable, évadé d’une rigueur qui s’exalte dans les affres de la brutalité, oui, sûrement qu'à Pétersbourg, on y avait trouvé, quelques bribes de sérénité.
Second
Maison
Melpomène
Adveï (Ivanovitch) Ielizarov
Caractère |
Adveï. Serviteur de Dieu. Ils avaient bien choisi ton prénom, ces parents admirateurs des saintes merveilles. Dans le pieux, l’homme s’éveille, il honore les cieux, et la foi, elle brille dans les yeux. Pour l’honneur d’une famille, il fallait le vénérer, le sacré. Pour compléter une âme humaine, qui n’est elle-même que dans la pureté du divin, chaque jour, il fallait prier. Une vie noyée dans l’orthodoxie, mais Adveï, cette foi magnifiée, la sentais-tu déverser dans le creux de ta poitrine, la splendeur des joies qu’elle était censée apporter ? Cette félicité promise, avait-elle réussi à l’apaiser, ton esprit ? Obéissant, ces précepts sèchement dictés, l’aîné, il les avait toujours suivis. Sans jamais objecter, parce que cette sainte autorité, on le savait, il ne fallait pas se risquer à la contredire. Une sage patience l’enlace, c’est qu’il avait toujours été ainsi, de toute façon. À l’école, ou à la maison, c’était dans l’obédience qu’il faisait valoir sa raison. Une vertu qu’on lui reconnaissait volontiers, et pourtant, même armé de cette qualité, les déboires de la tyrannie, il n’y avait pas échappé. Peu importe, il estimait qu’il n’avait pas eu une mauvaise vie pour autant. Au contraire même, sûrement aurait-il dû être reconnaissant. Les faits étaient ce qu’ils étaient, et dans un fatalisme déconcertant, on arrivait à se satisfaire d’une enfance dévorée par le venin que portaient en elles, les mains d’une puissance redoutée.
Ah, il était comme ça, Adveï. Résigné face à ce qu’il semblait ne pas pouvoir contrôler, âme passive face à l’injustice, jusqu’à s’enivrer des mirages du déterminisme, cette philosophie valsant avec les ombres d’un étonnant défaitisme… Et piégé dans son éternelle tiédeur, rien ne l'éveille. Une âme à laquelle manque la douce chaleur de la vie, une joie dont elle se prive, peut-être était-ce le poids des années qui l’avait peu à peu aspirée, cette précieuse vitalité. Écroulée sous les décombres d’un passé enlaçant les souvenirs du drame, la vigueur, c’est la flegme qui l’avait remplacée. Un enthousiasme négligé, dans ces traits tracés d’une fine dureté, il y éclatait une discrète touche d’austérité. Adveï, c’était une de ces incommodantes beautés, celle qui, ornée de rigueur pourtant, y cache quelques bribes de sérénité. Oh, il était certain, ce visage, il fallait savoir l’apprécier. Une chair rongée par les quiétudes de ce calme vertueux, dans le voile brodé de mystère, la nonchalance dissonne avec la sériosité inlassablement arborée. Une attitude qui se terre continuellement dans un vague détachement, mais cet esprit studieux, inébranlable, il détonne avec fracas cette aura désintéressée. Il paraissait presque intouchable, cet être placide. Une troublante désaffection, qu’on aurait pu trouver détestable. Un cœur indescriptible, comme ces yeux, une masse nébuleuse en avait troublé la limpidité. Une chaleur évadée, et cette âme, c’était terrible, on aurait pu croire qu’elle avait abandonné. Une indifférence qui trahit l’absence de volonté, cette âme oui, c’était comme si, de tout, elle était éloignée.
La brume dévore l’iris, ces perles délaissées par l’éclat de la vie,
Un océan mêlé à la grisaille d’un ciel que la voûte menaçait d’effondrer,
Il y brillait pourtant d’impénétrables lueurs, une vigueur qui ne s’est pas totalement évanouie,
Et dans ces profondeurs, oh, peut-être aurait-on pu y déceler le reflet d’une âme écroulée par les malheurs d’un temps trop longuement subi.
Une jeunesse qui s’évade, piégée dans les griffes d’une autorité impitoyable, qu’aurait-il fallu retenir de ces années, à jamais perdues ? La paresse est détestée, c’était alors dans le travail qu’on s’était toujours abandonné. On les regarde s’évader, les souvenirs d’une enfance jamais vraiment vécue… Et l’innocence, elle s’évanouit dans la valse de la violence. Dure réalité. Dans ces deux mots, s’animaient les larmes de celle qu’on appelait fatalité. Accueillie sur le rythme d’une langueur bercée d’abnégation, Adveï, dans son inaltérable obédience, jamais cette tyrannie, il n’avait essayé de la renverser. Parce que c’était ainsi que cela fonctionnait ici, parce qu’il n’y avait pas à s’opposer. Certaines choses n’étaient pas vouées à changer, et dans leur nature infamante, les Hommes, ils gardaient en eux un vice que toutes les prières du monde ne sauraient expier. Le salut des ombres d’une bien mauvaise destinée, déferle dans l’esprit, les idées d’un déterminisme amèrement enlacé, et les horreurs qu’il faisait danser, jamais on ne s’en plaignait. Persuadé peut-être qu’il y avait pire ailleurs, ou seulement, que c’était avec ce qui lui avait été donné qu’il devait avancer, Adveï, c’était cette prodigieuse résignation qu’il avait embrassée. Les débris d’une passivité maussade, oh, c’était bien elle qui lui donnait l’air d’être constamment désintéressé, même de la plus tragique des réalités. Un étonnant défaitisme, cette âme, elle paraissait fade, et sa tiède apathie, elle contrastait avec la lourdeur de la sériosité dont elle avait toujours fait preuve.
C’était comme ça, et ces mots murmurés, ils s’évadaient dans un drôle de fatalisme. Jeune érudit taisant les sentiments, il ne pouvait le nier pourtant, ses différents départs avaient été salvateurs. Un doux souvenir de ses années de lycée, c’est que Pétersbourg lui avait presque offert les sérénités d’une vie éloignée de la fureur. Un cadre strict, mais justement, tout au plus, quelques dérapages qu’une fatigue écroulante aurait légitimé, mais Dieu, qu’on était loin des calamités qui sévissaient dans le petit foyer. D’ailleurs, c’était pendant ces chanceuses années que son intérêt pour l’Histoire et les cultures étrangères s’était éveillé. Apprenant l’anglais, et même le français, élève studieux, chaque année il avait fini en tête des classements. C’est qu’indéniablement, il était bon, le garçon. Qui sait si, cette excellence qu’il s’imposait si sévèrement, il la tenait d’un sentiment d’obligation qu’avaient imposé ses parents, si par un quelconque déterminisme, il s’était persuadé que c’était ainsi que la vie fonctionnait ou si, encore, ce travail acharné, il était le sordide résultat d’un esprit qui chercher à s’évader en s’occupant dans l’utile, la fuite d’une réalité qu’au fond, on n’avait peut-être pas vraiment acceptée. Peu importe, seul le résultat comptait, au fond : dans les études, il brillait, et les faits se dévoilaient, voilà qu’ici, il avait réussi à se glisser second.
Dans une éternelle tiédeur, on se rappelle de ces années lycéennes, presque providentielles. On se revoit admirer les étoiles que le ciel avait laissé tomber, la splendeur d’un ocre électrisé étinceler les toits de l’ancienne capitale impériale dans une somptuosité presque emplie de banalité. Ces rues inondées par les lueurs de quelques astres que le verre avait emprisonnées, on se remémore la paix qu’elles avaient déversée dans ce cœur, qui, pour quelques instants, goûte à la liberté ; la sérénité qu’avaient rythmé les rires évadés dans les couloirs, ces éclats appartenant à quelques garçons ayant témérairement bravé l’autorité… Des dortoirs animés par les jeux innocents, ces échappées furtives pour un coucher tardif qui finissaient toujours par s’ébruiter…Et l’on se rappelle également du jour où, après l’internat, il avait dû s’envoler pour cette école de prestige. On se souvient d’une sérénité qui, brutalement, se brise. Le fracas d’une porte qui s’ouvre, une violence démesurée, et cette infâme cadence avait explosé le vide qui, paisiblement dans la pièce, dansait. Terrible véhémence, c’est que cette brutalité, c’est un corps tout entier qu’elle avait fait sursauter. Adveï, il se revoyait encore tressaillir sous le fragment d’une frénésie qu’il n’avait su prédire. L’intrus s’était avéré n’être que son frère avec lequel justement, il partageait cette petite chambre, dont la paisibilité avait été brisée. Les paroles qui avaient suivi, c’était mot pour mot qu’on s’en souvenait, un éclat de nostalgie pour embaumer l’esprit… Et cette petite fratrie, peut-être commençait-elle à lui manquer.
- Ah, Déïa, c’est aujourd’hui que tu pars ?
- Oui.
- Tu reviendras, hein ?
- Mais oui... Je ne vais pas vous laisser comme ça.
- J’espère.
- Tu prends soin de Nastia et d’Alionouchka, ok ?
- Ouais !
- Sans-faute, Micha ?
- Sans-faute !
Mikhaïl, affectueusement surnommé Micha, un garçon de seize ans déjà, mais au fort caractère, les deux sœurs, à ses côtés, certainement qu’elles étaient en sécurité. Adveï, plus souvent nommé Déïa, voire Ava ou Avdia ; trois diminutifs que, sur ces terres slaves, on préférait au prénom original, il savait qu’il pouvait faire confiance au cadet.
- T’as de la chance toi, quand même. D’abord Pétersbourg, puis maintenant, la Corée.
- C’est pour vous sortir de ce trou.
- Moi j’aurais bien aimé qu’on m’envoie… Je sais pas, à Moscou par exemple, pour le lycée… L’internat, ça m’fait pas peur.
Toute la fratrie, sûrement, aurait aimé s’évader de ce foyer qu’embrassaient les ombres d’une infâme terreur. Et c’était vrai, Adveï, peut-être parce qu’il était l’aîné, il avait eu la chance de profiter d’un traitement un peu particulier. Ces lieux que baignait une évidente pauvreté, cette maison en état de délabrement flagrant, ils explosaient une banale misère. Dans ces campagnes, la précarité s’étalait, et Adveï, c’était cette modestie imposée qu’il avait toujours côtoyée. Il savait son paternel consumé par une avarice presque maladive, mais en réalité, jamais il n’avait imaginé qu’une petite fortune, quoique largement relative, sommeillait sur des comptes précieusement gardés. Professeur dans la plus grande ville d’à côté, c’est que son avidité, elle n’avait pas comme cause unique la grande nécessité d’une famille dont il fallait s’occuper. Pourtant, ces économies durement rassemblées, elles avaient été investies dans l’éducation du plus grand. D’abord pour le lycée, maintenant pour des études supérieures que ces parents avaient voulu teintées de prestige. Et pour ça alors, même si un prêt avait dû compléter une grosse partie de la somme qui manquait, les faits éclataient : pour le succès d’un fils, on avait abandonné cette détestable cupidité. Dans les griffes de la reconnaissance, on s’est piégé, mais comment aurait-il pu en être autrement ? Pour la chance qui lui avait été donnée, il était redevable. Pour cette famille, il devait se montrer honorable. Une gratitude qui étreint le coeur, oh, on se l’était promis, l’erreur est misérable, et ici, on ne pouvait pas fauter.
Adveï, asservi de Dieu, ce seul prénom, il criait le poids d’une fatalité qui résigne,
Loin des merveilles des cieux, la sévérité explose dans les yeux, et l’âme reste digne ;
Pour cette prospérité que l’on poursuit, c’est dans le travail que l’on s’éreinte,
Le temps est précieux, il n’est pas à dévouer aux complaintes.
Dans la persévérance, on oublie les félicités de l’existence, sans qu’en valse la haine
Pour cette réussite que l’on croit sacrée, c’est tout que l’on aurait pu abandonner,
Comme une tragédie, les étoiles l’avait écrit, un bonheur sacrifié pour une vie éloignée des médiocrités,
Mais dis, Adveï, ce poids que tu te retrouvais à porter, en valait-il la peine ?
Un murmure s’évade, ta nature humaine, c’était à cela qu’elle t’avait condamné : pour une vie plus sereine, c’était toi qu’on avait envoyé dans l’arène. Elle était destinée à ça, ta vie, et c’était à ça que, toi seul, tu l’avais consacrée. Comme tout avant ça, abandonné dans la dureté d’une sériosité que rien ne saurait t’enlever, c’était cette fatalité, qu’il te fallait embrasser. Et alors que tout t’avait été donné, désormais, peu importe que tu fusses malheureux, il n’y avait que sur toi que l’on pouvait compter.
Armé de ta sévérité, portant l’honneur dans tes bras ; cette bataille, pour eux, tu en triompheras.
Tu le devais, parce que l’erreur, là-bas, on ne te la pardonnerait pas.