Elle est peut-être un peu complexe, la vie d’un enfant qui bouge beaucoup, à cheval entre deux pays. Mais pas pour toi. Parce-que t’as pas tellement d’amis, et ce depuis que t’es petit. T’as des copains, des connaissances, auprès de qui il est facile de se vanter, de se mettre sur un pied d'estale. C’est la même chose à Séoul, c’est la même chose à Wellington. De toute façon, quand t’était petit, maman préférait te faire l’école à la maison. T’as foutu la première fois un pied dans une classe en entrant au collège.

Mais quand t’y repense, l’ambiance à la maison elle était toujours un peu bizarre, un peu lourde. T’es pas sûr d’avoir un seul souvenir de tes parents qui s’aimaient. Enfin si, maman aimait papa, de façon désespérée. Mais lui, il n'était jamais là, indifférent à tous les signes qu’elle lui envoyait, jusqu’à ce qu’elle s’énerve, une fois, deux fois, c’était toujours pareil. Il lui répondait qu’il était désolé, qu’il ferait plus attention à elle à l’avenir. Elle se calmait, la boucle recommençait. Mais toi, Minjun, ça t'intéressait pas tellement, leurs histoires.

Ils te faisaient presque pitié, tous les deux. Maman à être si quémendante, papa à être si fuyant, c’est comme si t'était pas vraiment là. Plus vraiment là.

Tu te souviens d’un temps où les cris de maman te faisaient froid dans le dos, un temps où t'allais t’enfermer dans ta chambre dès qu’elle lançait une assiette contre le mur sous le coup de l’énervement, dès qu’elle jetait sa tasse de café sur le costard neuf de papa. Jusqu’au jour où ça a arrêté de t’atteindre. Le jour où t'as compris qu’elle ne casserait jamais rien de plus qu’une assiette, le jour où t’as compris que papa ne changerait jamais. Alors tu restais là, assis sur la table de la salle à manger tandis que la vaisselle volait et diminuait à vue d'œil chaque semaine. Les maths c’est plus important, pas vrai ?

Puis y’a eu des rumeurs, des vents qui courraient, mais maman coincée dans ses désilusions ne voulait pas y croire. Alors elle est allée à l’ambassade un soir où papa n’était pas rentré à l’heure, lui apporter un repas alors qu’il lui avait dit qu’il n’en avait pas besoin.

Mais papa, il aimait bien plus sa secrétaire que maman, c’est comme si tout s’était brisé pour elle quand elle les a surpris dans le bureau.

Mais cette fois-ci, pas un cri, pas une assiette cassée, juste le silence lourd, étouffant. Et sans un mot, elle est partie. Elle est rentrée à la maison, elle a fait ses valises, les papiers du divorces ont été signés bien vite. Papa n'a même pas cherché à avoir un peu de garde, non. T’es juste de retour à Séoul à avec elle. Et malgré tout, une question tourne toujours dans ta tête, Minjun. Pourquoi le divorce n’avait pas été signé plus vite ? Pourquoi papa n’avait pas eu envie de mettre fin à cette mascarade plus tôt ? ((Question bête, parce-que maman c’était un bon parti, c’est sa famille à elle qui a permis à papa d’accéder au poste qu’il occupait.))